Écrire, c’est vivre

  • Écrire, c’est vivre
    Écrire, c’est vivre
  • Ecrire, entre nécessité et énigme, le témoignage d’une écrivaine.

    Louise Lambrich interrogée par Philippe Bouret (1) livre des aperçus de son engagement dans la littérature. Elle tente de dire son rapport à l’expérience d’écrire. Il y a  toujours un grand intérêt à saisir de la bouche même de l’écrivain , ce qui définit l’écriture pour lui et ce qui constitue sa pratique, comme si l’on était invité à entrer dans le laboratoire de l’écrivain.

     

  • En premier lieu l’écrivaine saisit l’ impératif auquel elle doit se soumettre et qu’elle énonce comme : « ce que j’ai à écrire ». C’est un devoir d’écrire auquel s’opposerait le quotidien de l’existence du sujet qui vient faire diversion de cet impératif. Il y a un pousse à écrire dont témoigne Louise Lambrich. Son ambition est d’emblée très grande. En effet , il est question pour elle « de faire apparaître ce que les historiens n’ont pas vu. » Ainsi écrire est un savoir faire, et l’écrivain est celui qui réussit à acquérir cette pratique sur la langue.

    La mission de l’écrivain est ici rapportée par Louise Lambrich à « faire percevoir au lecteur ce que je vois et qui ne peut se percevoir si je ne le dis pas. »  La méthode de l’écrivain consiste à « casser les rhétoriques habituelles qui opèrent comme autant de masques. » Louise Lambrich revendique une écriture qui met à bas les semblants et va droit à l’insoutenable de la vérité.

    Pas de bla bla, pas de pensée molle mais des textes qui tranchent et qui permettent de voir l’invisible. On peut comprendre Louise Lambrich quand elle dit que «  penser n’est pas sans danger » . 

    Ecrire, est donc une confrontation pour l’écrivain avec la difficulté de traduire ce qui ne cesse de lui échapper. Il faut trouver le mot juste en particulier. C’est cette recherche qui met l’écrivain devant un effort de symbolisation. Seul le mot juste peut traduire  « ce qui est et qui ne se verrait pas si on ne le traduisait pas. » Pour l’écrivaine , il s’agit donc d’un véritable engagement.

    On peut retenir du témoignage de Louise Lambrich une autre dimension essentielle qui éclaire la fonction de l’écriture. Pour elle, dit elle, il s’agit d’écrire pour se sentir plus vivante que lorsqu’elle n’écrit pas.

    L’écriture a bien une dimension matérielle  qui est aussi corporelle nous dit l’écrivaine. 

    Elle l’illustre par ce qu’elle nomme : « Le complexe de Cyrano ». en référence à la pièce d’Edmond Rostand. L’écriture est le véhicule d’un désir. Elle est l’effet nécessaire qui résulte de l’émergence d’un érotisme, d’un ravissement, d’une jouissance : celle d’une voix entendue et qui touche le sujet, le rend amoureux. La pièce Cyrano traite du rapport de la voix et de l’écriture. Louise Lambrich fait sienne l’aphorisme de Voltaire : « L’écriture, c’est la peinture de la voix. »

    Dans la pièce de Cyrano l’écrivain est secrètement amoureux, il prête sa voix par son écritureà un autre , lequel en fait usage, pour toucher l’aimée à la place de l’écrivain  . L’écrivain est un Cyrano, il est ce Pierrot dit Louise Lambrich qui prête sa plume, sa flamme à un autre .

    Pour Louise Lambrich, l’expérience du « négriarcat » a constitué son école d’écrivaine.

    Il s’agissait pour elle d’inventer un style d’écriture en rapport avec l’esprit d’une personne qui se trouve vouloir écrire un livre et qui ne le peut pas. Le négre est donc celui qui va écrire ce livre à la place d’un autre. Le véritable savoir faire du négre consiste à produire un texte en congruence avec le désir d’un autre de telle sorte que ce dernier ait l’illusion d’avoir commis le livre. En effet le négre, l’écrivain du livre ne signe pas le livre , il laisse l’autre sujet en être « l’auteur ».

    La réussite de l’écrivain est de parvenir a soutenir l’illusion de ne pas être l’auteur du texte et d’effacer la main qui a rédigé l’écrit. Le « négriarcat » consiste à créer un « je »  qui n’est pas moi. Expérience troublante de donner corps par l’écrit à la pensée d’un autre sujet que soi même. Mais qui pourtant s’apparente bien avec le travail du romancier, à savoir prêter sa voix , ses mots à des personnages de fiction.

    Pour conclure il semble bien que faire expérience de l’écriture pour un sujet répond aussi bien d’une nécessité, d’un réel mais aussi d’une énigme, ce qui pourrait bien constituer la cause même qui rend l’écriture possible.

     

    (1) Ecrire c’est vivre : in Les entretiens de Brive, Edition Michèle, octobre 2015,  p 247-279

     

                                                                     Thomas Burkovic : le 13/06/2019