Facteur cheval

  • Facteur cheval
    Facteur cheval
  • L'ACF a organisé en partenariat avec le cinéma "Le Navire" à Valence, une soirée ciné-psychanalyse autour de la diffusion du film de Nils Tavernier, L'histoire extraordinaire du Facteur Cheval. Notre invité, Jérôme Lecaux, psychanalyste membre de l'ECF et de l'AMP, a serré quelques points logiques à partir des commentaires, remarques et questions posés par le publicvenu au rendez-vous de cette conversation. 

     

  • L’œuvre cinématographique, c’est d’abord ce qui nous touche, avant que d'être l'œuvre de vie du Facteur Cheval.

    Une distinction s'est opérée entre la fiction du cinéaste et celle du Facteur Cheval dont l'œuvre se présente en abîme par rapport au film. Celui-ci, servi par le jeu magistral des acteurs, Laetitia Casta et Jacques Gamblin, nous dépeint la dignité d'un homme dont le destin est sublimé par la poésie des images. Il s'agit d'abord d'un homme taiseux, dont la rigidité du corps qui oscille entre ancrage et rupture, ne peut rien dire de son lien à l'autre. Sa femme se fait l'interprète de sa relation avec le monde. Elle l'humanise pour lui faire rejoindre la communauté des hommes.

    Comment cet homme, poussé par une telle force de travail, jusqu'à se faire "cheval de trait", va-t-il consacrer sa vie à la transmuer en force d'invention créatrice, au service de l'édification de son art ? L'artiste s'impose avec son œuvre incomparable et unique, au-delà du repérage de son activité monomaniaque et de la pluie de signes qu'il prélève dans la nature. Si la question du diagnostic - qui hante l'époque contemporaine – fut posée par le public, comme pour tenter de stabiliser l’énigme à l’aide d’une signification, pour autant cette question n’est pas celle du cinéaste.

    Car ce que l'on voit plutôt se déployer, c'est la façon dont le Facteur Cheval fait usage de l'obstacle pour le retourner en s'appuyant sur l'objet. L'obstacle, la "pierre d'achoppement" qui cause sa chute, se rebrousse en effet de création. Elleinaugure l'évènement de l'acte, devenant appui et socle de son Palais, par lequel il donne forme à ses rêveries. Il se sert de la contingence de la rencontre avec cet objet pour construire une lecture du monde.

    Et puis il y a la fonction de l'écriture gravée dans la sculpture : des sentences, des formules proverbiales issues du sens commun que le Facteur Cheval cueille dans la langue, comme autant de cailloux ramassés sur le chemin, nous dit Jérôme Lecaux. De l'influence des cartes postales, almanachs et autres journaux lus au cours de ses tournées, à la découverte stupéfiante du temple d'Angkor, de l'île de Pâques, il organise cet ailleurs rêvé. L'écriture se fait inscription et façonnage de ce qui fonde pour lui l'instruction et le monde de la civilisation.

    Dans le prolongement du film, Nils Tavernier a écrit un ouvrage remarquable, Le Facteur Cheval - Jusqu'au bout du rêve - (Flammarion, 2018) en se référant aux cahiers rédigés par l'artiste. On saisit comment il a su faire passer la solitude de sa création dans la collectivité, en impressionnant les témoins de l'époque, mais aussi comment son œuvre se hisse à la dimension de l'amour, au nom de sa fille Alice. Le Palais Idéal à Hauterives se prête en effet, à jouer avec l'architecture du lieu. Les enfants la revisitent au creux des interstices, trouvant à accorder l'art naïf avec l'invention d'une aire ludique, propice au lien social.

     

    Patrick Hollender