Le désir de l'analyste et sa formation par Jacqueline Dhéret

  • Le désir de l’analyste et sa formation au cœur de « Questions d’Ecole »

    Une journée de l’ECF, le 24 janvier 2017 à la Mutualité à Paris 

    Un texte de Jacqueline Dhéret, Psychanalyste, Membre de l'Ecole de la Cause Freudienne

  • Lacan a souvent souligné que la promotion des progrès de la psychanalyse suppose le réveil des analystes. Quand il commence à formaliser sa proposition de 1967 sur la passe, il souligne que les psychanalystes sont toujours tentés, dès lors qu’ils pensent exercer cette profession, de se détourner des effets de l’analyse elle-même. Il applique cette réflexion logique, y compris à sa propre école. C’est un mouvement intrinsèque à l’idée d’association lorsque la communauté analytique se ferme sur l’identification, la débilité de l’image qui fait préférer le semblable à soi.

  • Parler de formation du psychanalyste, évidemment, va dans ce sens. Nous préférons y opposer l’instabilité de l’effet de la cure. C’est ce point de réel, plus que l’opposition entre effets thérapeutiques et inguérissables, qui permet aux psychanalystes pris un par un, de promouvoir les avancées du discours analytique. Cette considération fait du psychanalyste, comme a pu le dire Jacques-Alain Miller, un analysant perpétuel. Pas d’A.E. permanent mais des A.E. et des analysants perpétuels, c'est-à-dire toujours au travail. Lacan parle de la cause du désir et du désir de l’analyste pour indiquer qu’il n’y a aucun signifié qui puisse en répondre. L’analyste est revenu de ce rêve mais il n’est pas revenu de tout et il sait comment aider les sujets à tenir bon dans une société qui est bien plus intolérante que celle de Freud.

    L’expérience analytique oppose à l’idée de formation comme à l’ambition thérapeutique, un non sans appel. On pourrait presque mettre d’un côté l’idéal thérapeutique qui va avec l’être analyste, et de l’autre la tache analysante, la cause du désir et le désir de l’analyste. Le rapport à l’inconscient ne cesse pas avec la cure elle-même même lorsque la cure valide le sujet comme analyste, avec la procédure de la passe. Ce que l’on obtient à la fin d’une cure n’est justement pas quelque chose qui partirait de l’idée d’une formation.

  • J’en viens à l’intervention de Lacan au Congrès de la Grande Motte2, à celui de Montpellier3, que je trouve d’une précision remarquable et qui met l’accent sur le fait qu’il n’y a pas de formation analytique. Voilà ce que Lacan dit : « De l’analyse se dégage une expérience, dont c’est tout-à-fait à tort qu’on la qualifie de didactique. » C’est ce qui a été repris à l’IPA et à la SPP de la distinction proposée par Ferenczi à Freud et qu’il avait admise. Lacan ajoute que l’expérience implique la conquête d’un savoir, de ce qui peut s’en aborder, « avant que nous le sachions. » Le savoir inconscient c’est ça : « Le sujet après une analyse, a pu apprendre par quel truc ça s’est produit. » En ce sens seulement, une analyse peut être qualifiée de didactique. Lacan précise que ce que l’analysant a acquis comme savoir, il ne l’a pas appris.

    Il ajoute : « Ca lui a été dévoilé ». Dévoilé ne veut pas dire révélé, dévoilé suppose la levée du voile des semblants, ce qui implique et une réalisation signifiante et un retentissement, soit quelque chose qui a de l’effet.

    La position de Lacan consiste donc à parler, à partir du Congrès de Montpellier, du désir de l’analyste plutôt que de sa formation et c’est autre chose que l’enseignement que dispensent l’Ecole de la Cause Freudienne et le Champ freudien. Chaque un, dans le moment même où se saisit le dernier S1 qui permet l’appareillage du corps à l’inconscient, rencontre l’imprévu, et ce qui ne cesse pas de s’écrire de la jouissance, hors de toute loi de formation préalable.

  • Cette cristallisation produit elle-même des points nœuds qui peuvent faire valoir que le désir analytique ait « enfin son fruit » dit Lacan. Lacan ne parle pas du tout de guérison ou pas. Il dit : mais oui, une analyse doit porter des fruits ! Ici se joue ce qui autorise le sujet à se poser comme analyste. On entend la résonance avec la question, non pas de l’être, mais du désêtre qui ouvre à celle du sinthome.

    Par exemple chaque Analyste de l’Ecole réalise le parlêtre qu’il est (son désêtre à lui) et non pas l’analyste. Cette réalisation objecte à toute résorption possible dans un tout, dans une définition et c’est ce qui est passionnant. Ce moment d’éclair, de dévoilement de la lettre du symptôme récuse l’idée de formation, laquelle n’opère que dans le silence de la lettre. Lacan dit clairement qu’on ne peut vouloir être psychanalyste, qu’à y renoncer du point de vue de l’identité.

    L’Ecole est le lieu où la question du psychanalyste peut se poser, non pas comme une identité, acquise par l’apprentissage d’une discipline, mais dans l’ébranlement de la question elle-même. Jacques-Alain Miller formulait la question ainsi : « Analyste, est ce que je suis ? ». Personnellement je la développerai dans une autre, saisie dans l’après-coup de l’acte : « l’ai-je été ? ». Il arrive qu’il y ait de l’analyste. J’aime cette petite ironie de Lacan. L’acte recompose, défait, réordonne et au fond, il confirme la précarité. Un analyste c’est quelqu’un qui a touché une précarité, laquelle n’est pas celle de son histoire.

  • Il s’agit donc dans une école de psychanalyse, de soutenir la passe qui permet de réfléchir à ce que peut être une psychanalyse qui « introduit à son propre acte ».

    Pourquoi Lacan parle-t-il de révélation ? La révélation dont il s’agit à la fin de l’expérience n’implique pas la vérité. C’est plutôt un point de séparation d’avec cette aspiration. Elle n’implique pas la vérité, car nous ne sommes plus dans le registre de l’être. Cette révélation là est sœur du réel.

    Dans son intervention sur la passe à Montpellier, Lacan la qualifie ainsi  : « elle permet à quelqu’un qui pense qu’il peut être analyste… qui s’y est déjà autorisé lui-même, de communiquer ce qui l’a fait se décider… et s’engager dans un discours dont il n’est pas facile d’être le support… »

    Nous avons là la proposition de la Journées de Paris voulue par l’ECF. Il s’agit d’établir l’Ecole sur cette audace, sur ce scandale qui peut faire d’elle une Ecole atypique, au service du discours analytique. Mais c’est toujours à refaire, d’où l’exigence, pour chacun, du contrôle.

    1. Jacques Lacan, « Discours de l’Ecole freudienne de Paris », Autres Ecrits, 1967, Paris : Seuil, 2001, pp. 261-282
    2. Jacques Lacan, « Intervention au congrès de la Grande Motte », Lettres de l’Ecole n° XV, 1973.
    3. Jacques Lacan, « Intervention sur la passe », Congrès de Montpellier, Lettres de l’Ecole n° XV, 1973.
    4. Jacques-Alain Miller, Cours d’orientation lacanienne, 2009/ 2010, Vie de Lacan, inédit.
    5. Jacques-Alain Miller, Cours d’orientation lacanienne, 2008/2009, Choses de finesse en psychanalyse, inédit.
    6. Jacques Lacan, Mon enseignement, 1968, Paris : Seuil, 2005.
    7. Jacques Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole », Autres Ecrits, 1967, Paris : Seuil, 2001, pp. 243-260.