Zorah Viola : de famille à tribu

  • Zorah Viola : de famille à tribu
    Zorah Viola : de famille à tribu
  • Le 29 mai, l’ACF R-A invitait Zorah Viola à Grenoble pour son livre « De famille à tribu » au sous-titre sintomatique : « Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir une mère tordue ». L’auteure y témoigne de son expérience de famille d’accueil, de la façon dont son travail dans ce lieu de l’intime est venue l’affecter et de sa rencontre avec la psychanalyse.

     

    Zorah Viola, lors de cette soirée, raconte et nous écoutons ces récits savoureux : elle commence innocemment sa mission, convaincue que son amour et sa générosité vont, seuls, suffire. Un petit garçon, Simon, lui est confié, dans son sillage une mère « intraitable » et voilà que l’élan de cette jeune assistante maternelle se trouve ébranlé. Sur son chemin, Nicole Tréglia, alors psychologue de l’ASE, accueille son désarroi et prononce cette phrase « Écoutez, on va essayer de travailler ensemble ». Partant de cette rencontre, cette collaboration durera 30 ans et trouvera sa ponctuation dans l’écriture de ce livre auquel Nicole Tréglia apporte, au fil du récit de son auteure, des scansions, petits éclairages d’une psychanalyste qui a suivi, accompagné et soutenu de près ce chemin de vie avec les enfants et leurs familles.

    Autre point d’appui dont Zorah Viola témoigne dans ce livre, son analyse personnelle provoquée, pourrait-on dire, par la rencontre avec la mère de Simon qui vient brusquement réactualiser son histoire personnelle. Si la mère de Zorah est « tordue », elle en fait une chance et pas seulement pour elle : « la sympathie » qu’elle éprouve pour les mères des enfants qui lui sont confiés, « tordues » chacune à leur façon, rend la relation et la confiance possibles et borde la rivalité qui pourrait faire ravage entre ces mères et cette femme chargée d’accueillir leur progéniture. Dès lors, chaque enfant peut s’installer dans cette nouvelle maison, y trouver un abri et un appui pour grandir. « Mon symptôme est devenu ma mission de vie » nous confiera Zorah Viola.

     

    De « famille d’accueil » à « lieu de vie », « d’assistante maternelle » à « éducatrice spécialisée », et conteuse, de « famille à tribu », le point qui ne cesse pas dans cette trajectoire sculptée par la transformation, c’est le désir d’avancer et de trouver des solutions hors jugement, au cas par cas. Lors de nos échanges, Zohra Viola racontait, dans une langue éminemment vivante, la façon dont les séances de supervision analytique lui permettaient de faire un pas de côté : comme cet enfant qui ne va plus en cours et qui, au lieu de se trouver puni pour son mauvais comportement, est amené chez une famille amie pour se poser et jardiner et qui, Ô surprise, reprend son souffle et le chemin du collège. Les séances d’analyse de la pratique, tout comme l’écriture de ce livre, permettent aussi, dans une lecture après-coup, de s’enseigner des ratages, fussent-ils douloureux.

     

    « S’enseigner les uns les autres », une des phrases que Zorah Viola énonce au cours de cette soirée, transformation toute singulière du commandement religieux dans laquelle on peut entendre que l’amour de l’autre se trouve noué dans cette histoire, et au fil de la pratique, à un amour d’apprendre de l’autre et de l’Autre en soi ; « nouage civilisé », comme le nomme Nicole Tréglia dans la préface du livre, qui ne s’est pas tissé sans la psychanalyse, on l’aura compris.

     

    L’auteure a de vive voix insisté : ce livre est un hommage qu’elle rend à ces enfants et leurs familles, un hommage aux familles d’accueil « parce qu’on fait un sacré boulot » et nous pouvons ajouter un très bel hommage à la psychanalyse.

    La lecture de ce livre et la rencontre avec son auteure donne à cette phrase de JA Miller toute sa valeur « Faire de sa vie à la narrer, une épopée, cela consiste à faire un effort de poésie » (1), effort qui n’est pas sans effet ni dans la vie de Zohra Viola, ni dans celle des enfants qui ont croisé sa route, sans doute pas sans effet non plus, sur nous lecteurs.

     

    Anne-Laure Pellat

     

    1. JA Miller, « Faire de sa vie une épopée », in Hebdo Blog n°100