Echo de la soirée "Tout le monde rêve, tout le monde délire?"

  • Écho de la soirée en direction du congrès de l’AMP
    « Tout le monde rêve, tout le monde délire »

    Annecy, le 31 janvier 2024

     

    par Christine Marcepoil

    Le 31 janvier 2024, une soirée préparatoire au prochain congrès de l’AMP : « Tout le monde est fou » s’est tenue à Annecy en présence et en visioconférence ; elle a réuni 26 personnes.
    Notre invitée Marie-Cécile Marty, membre de l’ECF, a introduit la soirée en évoquant le texte de présentation du thème du congrès par Jacques-Alain Miller.  Puis, nous avons entendu l’intervention de Sonia Vachon, membre de l’ACF, à partir d’un film de Brad Anderson : « The Machinist » et Gilles Biot, membre de l’ACF, a ensuite déployé le thème de la folie à travers les lettres d’Antonin Artaud adressées à son psychiatre.


    « Tout le monde est fou, c’est à dire délirant » nous dit Lacan et Jacques-Alain Miller va compléter cet aphorisme par « rien n’est que rêve ». Freud considérait que le délire appartenait à la même classe de phénomènes psychiques que le rêve. C’est le point de départ du texte de Sonia qui nous introduit avec ce film à la question du rêve, du cauchemar et de la folie. En effet, le héros du film « The Machinist » est un homme qui ne peut plus dormir, qui maigrit de jour en jour et qui sombre petit à petit, dans la folie.
    Le film est un thriller qui, comme le rêve nous donne des indices et confronte le héros, ainsi que le spectateur à de la perplexité et du malaise. Il se trouve face à une question qui se présente à lui sous différentes formes et qui insiste : « Qui es-tu? ».
    C’est une sorte d’énigme à résoudre, nous dit Sonia, avec des éléments qui font signe, avec des condensations et des déplacements. La fin du film nous permet de comprendre que la folie dans laquelle le héros a sombré est une défense contre un réel non symbolisable : la mort accidentelle d’un enfant.
    Ce trauma inassimilable n’a plus permis au héros de dormir, ni de rêver, mais la dernière scène du film nous montre qu’en se rendant à la police, pour se dénoncer, il va enfin pouvoir retrouver le sommeil.
    Les hallucinations verbales et auditives étaient là comme des indices pour lui indiquer que c’était lui le « killer ». Une nomination qui va lui permettre de reconstituer le puzzle et d’assumer sa culpabilité.
    Marie-Cécile Marty nous a rappelé le propos selon lequel l’artiste toujours précède le psychanalyste1. Ce film très noir en est un parfait exemple car il éclaire les notions de réel et de folie.


    L’intervention de Gilles Biot nous a permis de rencontrer la folie d’Antonin Artaud à travers sa correspondance avec le psychiatre  Gaston Ferdière, qui l’a soigné à Rodez durant son internement, publiée sous le titre : Nouveaux écrits de Rodez2.
    Gilles a introduit son propos en énonçant : « le fait est que celui que l’on dit fou n’est pas totalement hors du sens commun et il nous renvoie le masque grimaçant de nos folies refoulées ».  Gilles a revisité les événements marquants de la vie du poète et particulièrement les moments où il a déliré et a été interné. Le docteur Ferdière a joué un rôle important dans la vie d’Artaud car il partageait avec lui son goût pour la poésie. Ainsi, il l’a toujours incité à continuer son effort d’écriture, pour traiter la jouissance qui pouvait l’envahir.
    La lecture des lettres d’Antonin Artaud nous dit Gilles, pousse tout un chacun à s’interroger sur la différence entre délire et poésie. Artaud écrit : les états mystiques du poète ne sont pas des délires cher Docteur Ferdière. Ils sont la base de sa poésie3.  Le Dr Ferdière a toujours soutenu son patient mais il est aussi à l’origine de son internement entre 1943 et 1946 et c’est ce que Artaud lui reproche. Pour Artaud, la poésie est une tentative de cerner le monde qui l’entoure, qui s’inscrit dans le mouvement surréaliste de l’époque. Il interpelle son psychiatre mais aussi chacun d’entre nous, sur notre rapport à la réalité.


    Aussi pour conclure je citerai Philippe De Georges qui lors d’une conférence filmée à Bordeaux a repris les propos de Lacan : tout est rêve sauf l’impensable à dire de la mort et du sexe4.
    Ainsi, tout comme le héros du film The Machinist, Artaud tente de se défendre d’un réel impossible à écrire : le réel du sexe et de la mort.

     

    1 Lacan J., « Hommage fait à Marguerite Duras, du ravissement de Lol V.Stein », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 192.
    2 Antonin Artaud, Nouveaux écrits de Rodez, Paris, Éditions Gallimard, 1977.

    3 Antonin Artaud, Nouveaux écrits de Rodez, Paris, Éditions Gallimard, 1977, p 96.
    4 https://www.youtube.com/watch?v=kAB9MvKvICs