Séminaire Lire Lacan : les cinq lettres à kojève

  • Séminaire Lire Lacan : les cinq lettres à kojève
    Séminaire Lire Lacan : les cinq lettres à kojève
  • Dans le cadre de son Séminaire, Lire Lacan, l’ACF R-A était heureuse d’accueillir vendredi 5 octobre 2018, Juan Pablo Lucchelli qui s’est exprimé à partir de son ouvrage Lacan, de Wallon à Kojève.

    Sa découverte de cinq lettres écrites par Lacan à Kojève, a fait évènement et a permis à l’auteur, de mener l’enquête, tel un détective, sur les liens qu’ils entretenaient en 1935, interrogeant l’influence de ce dernier sur la construction de la pensée du psychanalyste.

    En somme Juan Pablo Lucchelli a ouvert une réflexion sur un Lacan dont on parle assez peu, celui qui n’a pas encore rencontré le structuralisme, celui d’avant les années 50. S’entourant de plusieurs grands noms de la scène intellectuelle de l’époque (Queneau, Bataille, Wallon…), Lacan anime des soirées bimensuelles chez lui, sorte d’ancêtre des séminaires qu’il tiendra par la suite. Ces rencontres s’avèrent décisives, ainsi que l’enseignement de Kojève sur Hegel à l’Ecole Pratiques des Hautes Etudes auquel Lacan participe. Ce dernier y attrape un style, une manière de travailler ; à plusieurs.

    A l’époque, Lacan rédige son article les complexes familiaux, à la demande de Wallon, pour le tome VIII de l’Encyclopédie Française. Pour ce texte, il laisse de côté sa formation en psychiatrie, sa thèse sur le cas Aimé, et est « biberonné » à la sauce hegelienne par Kojève. Les inspirations de Lacan sont nombreuses mais il n’en fait pas état, omettant de citer ces sources.

    Dans ce texte, pourtant peu lu, apparait différents points essentiels notamment la réactivité de l’enfant à la présence humaine. Si cela sera objectivé par la recherche ensuite, Lacan en a l’intuition à partir de sa rencontre avec la clinique. Dès les premiers jours, il note l’intérêt du nourrisson, sa réaction devant le visage humain, avant même l’achèvement de la coordination visuelle. D’autre part, le concept de stade du miroir apparait pour la première fois ici. Un point important disparaît avec la seconde version du texte en 1949 : la nécessité pour l’enfant de 5 mois et demi, nous dit-il précisément, de se retourner pour vérifier l’image qu’il voit dans le miroir. Il n’est pas suffisant qu’il jubile devant l’image, il faut s’en assurer. Ainsi le monde n’existe pas sans le regard de l’autre, comme nous l’enseigne aussi le schéma optique. Juan Pablo Lucchelli fait alors un parallèle avec les enfants autistes, concentré davantage sur l’objet que sur l’autre, et qui peinent à s’inscrire dans le monde. Si cela peut être rapproché du concept récent « d’attention conjointe », Lacan en avait déjà eu l’intuition clinique en 1935.

    Par la suite, Juan Pablo Lucchelli déploie la pensée de Kojève sur la question du désir et en filigrane apparait l’influence de sa théorie sur celle que conceptualise Lacan. Il en est de même pour celle du transfert ou de la métaphore de l’amour qui prennent racine sur la théorisation du maître et de l’esclave chez Hegel, repris par le philosophe français d’origine russe.

    Si Juan Pablo Lucchelli nous a présenté un Lacan différent, contradictoire, hésitant, influencé, écornant par endroit notre idolâtrie à son égard, sa présentation a souligné sa intuition clinique, d’une incroyable actualité.

    Hélène Bocquet